Projet européen : Un patrimoine commun en Méditerranée – Fortifications de l’époque des croisades

Projet européen : Un patrimoine commun en Méditerranée – Fortifications de l’époque des croisades

ICOMOS France, dans le cadre du programme européen Culture 2000, a coordonné le projet « Un patrimoine commun en Méditerranée. Fortifications de l’époque des croisades », démarré le 1er novembre 2006 et clôturé le 30 novembre 2007.

Témoins de luttes et d’échanges, certaines forteresses, bâties dans l’Orient méditerranéen à l’époque des croisades par des Francs, des Byzantins, des Arabes, des Arméniens ou des Turcs, sont révélatrices d’une diffusion de savoir-faire qui fut décisive dans l’art de bâtir, et dans la façon dont ont évolué les techniques de défense et d’attaque des domaines fortifiés. Ces édifices représentent aussi, de façon plus générale, l’émergence d’une pensée technique commune, qui a redécouvert les savoir technologiques et scientifiques de l’Antiquité, et  à intégrer les emprints des peuples entre eux dans leurs courses à l’armement, ainsi que les échanges d’expériences et de technologiques. Ces fortifications, qui cumulent les apports de diverses culturels, ont donc été véritables laboratoires d’innovations techniques, en même temps que des lieux d’affrontements et des foyers de contact et d’émulation entre les différentes communautés en présence.

Les conclusions du projet

Le séminaire final organisé à Damas en Syrie du 15 au 18 novembre 2007 devait permettre de diffuser les résultats du projet, en réunissant les membres du réseau et en présentant l’approche du projet ainsi que ses résultats sur les deux sites pilotes du château de Sahyun et du Krak des Chevaliers.

L’objet de ce projet était de faire le point des connaissances concernant les forteresses de l’époque des croisades, dont l’architecture était au confluent d’influences diverses et a fortement marqué l’évolution des techniques et de l’art de construire en Europe et en Méditerranée. Pour cela, il a contribuer à la création d’un réseau entre les différents pays et organismes de recherche concernés et à la sensibilisation du public à ce qui nous rapproche, plutôt qu’à ce qui nous divise.

Au cours de cette année de collaboration avec des scientifiques européens et du Moyen Orient, ICOMOS France, et les différents partenaires qui se sont impliqués, ont partagé expériences et connaissances, afin de mettre en évidence que les fortification au temps des Croisades, d’un bout à l’autre de la Méditerranée, peuvent être considérées comme un patrimoine commun. En effet, elles cumulent les apports de diverses culturels, ont été de véritables laboratoires d’innovations techniques, en même temps que des lieux d’affrontements.

Les partenaires
  • ICOMOS France – France
  • Direction Générale des Antiquités et des Musées – Syrie
  • Sovrintendenza per i beni architettonici e paesaggistici della provincia di Bari – Italie
  • The Hellenic society for the preservation of the cultural heritage and the environment – Grèce
  • Université de Liège, Service d’Assyriologie et d’Archéologie de l’Asie Antérieure – Belgique
  • Ecole d’Avignon – France
  • Centre des Monuments nationaux – France
Un réseau de fortifications de l'époque des croisades
Château de Sahyun en Syrie

La forteresse de Sahyun, aussi connue comme Qal’at Salah al-Din (château de Saladin), assurait la protection méridionale d’Antioche.

Du Xe au XIe siècle, Byzance occupe le terrain et dessine le plan général de la forteresse : un châtelet polygonal, un ensemble cultuel et deux enceintes fortifiées. Le château de Sahyun est conquis par les Croisés au début du XIIe siècle et donné au seigneur de Saone, qui y réalise d’importants aménagements résidentiels, religieux et défensifs, notamment l’érection d’une tour de 24 mètres. En 1188 les Ayyoubides prennent le château et renforcent  ce complexe défensif et l’érection d’un palais.

L’importance des campagnes de construction byzantines, croisées et ayyoubides et le bon état de conservation du château au moment de l’évènement des Mamelouks expliquent en partie l’ampleur limitée des travaux de restauration et fortification postérieurement. Il est inscrit sur la liste du Patrimoine mondial depuis 2006.

Krak des Chevaliers en Syrie

Contrôlant la Troué de Homs et la plaine de la Boquée, le site constituait une citadelle avancée, une « barbacane » chrétienne faisant face à la Syrie intérieure et plus tard aux menaces ismaïliennes.

Initialement construite dans un but défensif pour protéger les États latins, cette forteresse a été transformée dans les années 1220 en citadelle-caserne, flanquée de tours semi-circulaires et d’un chemin de ronde. Elle fonctionne comme un véritable « monastère », conçu pour une communauté de moines-soldats, pouvant accueillir pèlerins et voyageurs. A la fin du XIIIème siècle, « l’imprenable » Krak est conquise par les mamelouks dont les travaux de reconstruction viennent marquer architecturalement et symboliquement « le nouveau château ».

Longtemps décrit comme le symbole de la présence franque en Orient, ce chef d’œuvre architecturale est un catalogue de constructions et d’innovations franques et islamiques. Elle est inscrite sur la liste du Patrimoine mondial depuis 2006.

Enceinte portuaire franque à Aigues-Mortes

Port ouvert sur la Méditerranée, Aigues-Mortes fût le point de départ principal de la Septième Croisade, menée par Louis IX. C’est lui qui ordonne les débuts de la constructions de la ville. Le premier élément notable de cette enceinte est la tour de Constance, bâtie selon les canons imposés par Philippe-Auguste au début du XIIIe siècle.

Lors de ces constructions, les archères et niches ont fait l’objet d’une attention particulière. Ces niches sont des témoins incomparables des tâtonnements et des progrès induits par les contacts au sein deal Méditerranée des croisades. La parenté entre certaines cités du littoral levantin (Jaffa, Ascalon, Césarée, Acre) reconstuites par Louis IX et Aigues-Mortes est assez frappante.

Aigues-Mortes est ainsi un résumé saisissant de la fortification royale des années 1250 à 1300 et des allers-retours entre Orient et Occident.

Château arménien Yilan Kale en Turquie

Le château de Yilanli kale – château du Serpent – commande un gué sur le fleuve Ceyhan, véritable artère de la région cilicienne.

Soumise aux affres des invasions provenant tant d’Occident que d’Orient, cette forteresse est composée de plusieurs enceintes, de vastes salles et logements ainsi que d’un réduit. Il faut franchir deux imposantes portes pour accéder à la cour centrale. L’homogénéité des matériaux et techniques par endroits suggère que les auteurs de l’édifice sont en majorité Arméniens.

Au XIIe siècle, la citadelle dépend de la principauté d’Antioche avant d’être englobée par le royaume de Petite Arménie, fondé par Léon Ier. Dans un contexte de rapprochement franco-arménien, les Mamelouks prennent la citadelle au milieu du XIVe siècle. Il est probable qu’elle marqua un moment la frontière entre les deux royaumes concurrents.

Enceinte urbaine et citadelle ayyoubides du Caire

Fondée en 969 par les Fatimides, Le Caire est rapidement entourée d’un rempart de briques crues ; première fortification qui est renforcée en 1090 avec l’édification des quatre portes monumentales : Bâb el-Futuh, Bâb al-Nasr au nord, Bâb Zuwayla au sud et Bâb al-Tawfiq à l’est.

L’architecture militaire cairote est remaniée de façon significative à la fin du XIIe siècle. Un jeune général kurde du nom de Salâh ad-Dîn, plus connu sous le nom de Saladin, fait restaurer une partie de l’enceinte fatimide puis entreprend, ne fois de venu sultan, un grand programme de fortification de la ville. Il réunit au sein d’une muraille de vingt kilomètres de long et commandé par une citadelle, l’ancienne ville de Fostât et la ville califale d’al-Qâhira.

La muraille perd sa fonction défensive dès la fin du XIIIe siècle et s’est depuis intégrée dans la structure de l’agglomération cairote. Des fouilles ont été  entreprises au début des années 2000.

Château royal franc de Chlemoutsi en Grèce

Situé dans le Péloponnèse, le château de Chlemoutsi comprend un donjon, une enceinte et des fortifications qui s’étendant sur les pentes douces de la colline. La construction du donjon polygonal a été réalisée par Geoffroi I de Villehardouin entre 1220 et 1223 avant que ses descendants le transforment en château fort, faisant passer sa fonction défensive au second plan. Après la conquête ottomane de 1460, des réaménagements ont été effectués afin d’adapter le château à la nouvelle ère de l’artillerie.

Chlemousti a été le plus grand projet de construction mené par les Francs dans les Balkans : son plan se base sur les modèles de fortifications françaises datant du règne de Philippe Auguste.

Au regard de ses caractéristiques, le château de Chlemousti représente la transplantation d’une tradition architectural et occidentale au sein d’un royaume de culture byzantine.

Castel del Monte en Italie

Les travaux du Castel del Monte débutent au XIIIe siècle s’insèrent dans le règne de Frédéric II, héritier de l’empire germanique et du royaume de Sicile – royaume alors sous influence normande à l’origine d’un important brassage des culturels.

Le recours constant au chiffre huit et à la forme octogonale est la caractéristique du monument : cour octogonale, huit tours. Sa situation stratégique au sommet d’une colline démontre sa fonction militaire, qui n’exclut pas pour autant d’autres usages secondaires. Des bains sont présents dans certaines tours du château : lieux réservés à l’hygiène alors bien plus répandue dans le monde arabe qu’en Occident.

Suite à la chute des Souabes en 1268, le château passe entre diverses mains pour être revendu à l’Etat italien en 1876, qui en assurera les restaurations. Depuis 1996, le site figure sur la Liste du patrimoine mondial.

Château d''Ajlûn en Jordanie

Ancré sur l’une des croupes occidentales du Djebel ‘Ajlûn, le château d’Ajlûn domine la vallée du Jourdain. Aussi connu comme Qal’at Ar-Rabad, il a été construit par les Ayyoubides au XIIe siècle et agrandi par les Mamelouks au XIIIe siècle.

Fondé sur deux terrasses nivelées, le château se découpe en plusieurs grands ensembles : un noyau primitif, concentré sur la plus haute partie du site ; deux cours basses, à l’est et à lo’uest ; une grande tour au sud dont le plan dessine un « L » ; un système d’entrée, situé à l’est, composé d’une rampe d’accès, et, enfin, un arsenal.

Par ses caractères architecturaux, le château d »Ajlûn, bien que simple forteresse émirale, s’inscrit parfaitement dans la lignée des grandes forteresses et citadelles princières ayyoubides. En cela, il est un monument incontournable pour la compréhension de l’évolution de l’architecture militaire islamique de l’époque des croisades.

Château de Kerak en Jordanie

La citadelle de Kerak fut achevée en 1142 et devint rapidement la résidence des seigneurs d’Outre-Jourdain.

Le front nord du château consiste en un gigantesque mur bouclier, héritage franc, défendu par un fossé. Le front ouest du château consiste en de lumineuses murailles en facture mamelouke, tout comme l’entrée composée d’une arche de 12 mètres de hauteur.

L’élément le plus confondant le de la forteresse reste le réduit mamelouk au sud du site. Véritable donjon-éperon construit par Baïbar en 1264, il s’agit d’un mur bouclier sur quatre niveaux défendant l’endroit le plus exposé du site, à savoir le versant faisant face à la colline Umm at-Thalleja – la mère des neiges – qui surplombe le château. En contrebas de cet ouvrage, se trouve un fossé creusé par les Croisés pour recueillir les eaux de mois en temps de paix et tenir éloignés les sapeurs ennemis par temps de guerre.

Château de Beaufort au Liban

Le château de Beaufort est d’abord un simple bâtiment sur un éperon rocheux. Le premier château fort franc au XIIe siècle est largement modifié pendant l’occupation ayyoubide du début du XIIIe siècle. Il est ensuite transformé par les Francs entre 1240 et 1268 – les Templiers y construiront les courtines ouest et sud et une Grande salle – puis repasse entre les mains des Mamelouks jusqu’en 1517, qui y ajoutent de nouveaux bâtiments dont une salle comportant un hammam.

Le château est restauré au milieu du XXe siècle mais la guerre entre Israël et le Liban entre 1975  et 2000 laisse des traces : des bunkers à proximité des courtines ayyoubides.

Les campagnes de restaurations plus récentes ont fait le choix de conserver la dichotomie dans le bâti, témoignant des rapports souvent conflictuels mais parfois sereins qui ont lié les occupent successifs du château au travers de l’architecture militaire du château.

Château franc de Byblos au Liban

Durant leur traversée de la corniche libanaise en 1099, les premiers Croisés passèrent au voisinage de Byblos (ou Giblet ou Jobel sous son nom antique), mais ne l’attaquèrent pas en vertu d’un accord de non-agression passé avec le gouverneur de Tripoli. La cité fut finalement conquise par Raymond de Saint-Gilles grâce à l’aide d’une escadre génoise à laquelle il fit don d’un tiers de la ville conquise.

Le château consiste en une enceinte rectangulaire, flanquée de cinq tours de tailles et factures diverses, dominées par un donjon.

Le château est situé au sein d’un vaste champ archéologique où se mêlent les vestiges laissés par les plus grandes civilisations de l’Antiquité. On suppose que ce fut là, au contact des monuments perses pourvus d’appareils à bossage, que les Francs adoptèrent cette technique qui deviendra tout au long du XIIème siècle leur marque de fabrique pour la constructions d’ouvrages militaires.

Citadelle-palais de Qal'ât Najm en Syrie

Située au nord-est d’Alep, Qal’ât Najm assurait depuis sa hauteur le contrôle de l’un des trois principaux points de franchissement de l’Euphrate. Elle  renferme toutes les composantes traditionnelles d’un complexe palatial : le palais, l’arsenal, le bain et la mosquée. 

Fortifiée au milieu du XIIème siècle, la citadelle surplombait la vallée en occupant une position défensive majeure. Des travaux de restauration furent engagés à Qal’at Najm par la dynastie ayyoubide au XIIIème siècle afin de renforcer la frontière orientale de la principauté d’Alep. L’étendue de la commande architecturale d’Aydamur, gouverneur de la citadelle, reflète le développement du village et l’activité autour du château qui, trente ans plus tôt, ne rassemblait qu’à un modeste campement de bédouins.

Aujourd’hui, l’effet de verticalité a été atténué par la monté des eaux en raison du barrage du lac Al-Assad.

Enceinte portuaire d'Alanya en Turquie

La majorité des fortifications d’Alanya datent du XIIIe siècle, période de prospérité des premiers Turcs d’Anatolie, quand le sultan saldjuqide de Rûm prend la cité, alors aux mains d’un seigneur arménien. Alanya subit ensuite la conquête des Mongols et son développement se fait en grande partie par l’essor du commerce portuaire.

Véritable promontoire sur la Méditerranée, Alanya est protégée au nord par un imposant rempart, entrecoupé par deux portes principales : Kale Kapîcî et Asagî Kapîsi. A l’intérieur de ses remparts, la ville se divise en six secteurs fortifiés.

C’est au sein du premier secteur que les éléments de fortification saldjudiques sont les plus importants : le Tersane (installation portuaire fortifiée) et la Kîzîl Kule (monument imposant de 33 mètres de haut, surnommé « tour rouge » à cause de la couleur de la pierre). Au sommet de la ville, la citadelle principale ou Îç Kale forme le cinquième secteur.

Enceinte byzantine de Nicée

Îznik – fondée vers -300  sous le nom de Nicée – a conservé la quasi intégralité de ses remparts. Véritable mémoire de la ville, ces fortifications permettent de retracer les grands événements de son histoire. Déjà, au IIIe siècle, elle reçoit l’enceinte la plus novatrice et imposante d’Asie mineure.

Entre le VIIIe et le XIe siècle, plusieurs campagnes de restauration modernisent les fortifications. En 1097, Ïznik est capitale du premier état turc d’Anatolie quand la Première Croisades cause de nombreux dégâts à l’enceinte. Successivement place frontière face au sultanat saldjuqide, puis capitale de l’Empire de Nicée au début du XIIIe siècle, les fortifications de la ville évoluent : des tours sont bâties, d’autres sont reparementées et une nouvelle enceinte est construite.

Au début du XIVe siècle, les Ottomans reprennent définitivement la ville qui se vide de ses habitants grecs.